L'expropriation

Qu'est-ce que l'expropriation ?

C'est une privation du droit de propriété, concept repris dans l'art 16 de la constitution.

« Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité. »

Dans un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme [1] , 3 conditions doivent être réunies :

  • Les conditions des expropriations sont prévues par la loi
  • Être réalisée pour cause d'utilité publique
  • Respecter le juste équilibre entre les droits des propriétaires et l'intérêt de la communauté

Le dommage et la réparation

Nous nous attacherons plus précisément à l'indemnité en cas d'expropriation.

La réparation se déterminera en prenant compte de la personne expropriée et non uniquement de la valeur du bien.

Les indemnités d'expropriation doivent couvrir l'ensemble des préjudices et réparer intégralement les dommages causés par l'expropriation. Ceci a été confirmé par la Cour de Cassation [2].

L'expropriation est un acte juridique cause du dommage qui s'apprécie en droit.

Le dommage est l'effet : la privation d'un avantage (appauvrissement) et est :

  • Matériel quand l'avantage perdu est mesurable en unités monétaires
  • La perte d'un bien
  • La perte d'une source de biens, de source de revenus
  • Moral dans tous les autres cas

Donc le dommage s'apprécie aussi en fait, que ce soit des dommages prévisibles et directs toutefois aussi imprévisibles et indirects.

La Cour de cassation a affirmé que l'indemnité d'expropriation doit comprendre « la réparation de tous les préjudices qui représentent un lien de causalité avec l'expropriation » [3]

Exemples : les frais des conseillers techniques et des avocats (indemnité de procédure), en effet si la personne n'avait pas été expropriée elle n'aurait pas dû faire appel aux services de ces techniciens.

Le dommage est apprécié par le juge au moment où il statue, les dommages peuvent prendre leur origine avant l'expropriation et s'étendra tant que le dommage ne sera pas intégralement réparé.

L'indemnisation est une condition de validité de l'expropriation, en cas de litige le juge doit allouer au minima une indemnité provisionnelle au risque de voir une condition de validité non remplie.

Qui a droit à la réparation ?

Non seulement la victime « primaire » de l'expropriation (le propriétaire)

Le locataire : l'occupant (bail, bail à ferme, ...)

Par exemple : La somme attribuée au « fermier » le sera en sus de la somme allouée au propriétaire du terrain agricole.

Le juge apprécie :

  • Le dommage résultant de l'extinction du bail
  • L'examen du trouble dans le fonctionnement des affaires de l'agriculteur ou du commerçant par exemple

L'indemnisation tiendra en compte :

Pour le locataire uniquement

Dans le cas d'un bail à ferme : 

  • Le prix du fermage - si ce dernier est anormalement bas, le dommage sera d'autant plus grand que le même terrain sera impossible à trouver à la location : perte de bail avantageux.
  • Les grands terrains sont plus difficiles à trouver et donc le prix est élevé
  • Si le bail prévoit un « chapeau » lors de la cession autorisée de la terre d'un locataire à un autre - ce chapeau serait perdu sans cette indemnisation
  • ......

Pour un commerçant :

  • La perte de revenus 
  • Le déménagement
  • La publicité nécessaire pour faire connaitre sa nouvelle adresse par exemple 

L'expropriation est vraiment du cas à cas 

Sans l'expropriation, il aurait continué à profiter de son bail et donc à exploiter ses terrains, son commerce, ses bureaux ainsi loués.

Pour le propriétaire uniquement

  • La dépréciation des parties restantes (quand toute la surface n'est pas expropriée) les petits terrains ayant proportionnellement moins de valeur que les grands terrains.
  • .....

Pour l'exploitant (propriétaire et locataire)

  • La perte de surface exploitable ce qui a pour conséquence la non-rentabilité de l'exploitation
  • Le prix des clôtures, des haies ou des arbres plantés, des fumures...
  • Le prix des intrants et des semences ainsi perdues si la récolte ne peut avoir lieu
  • La valeur du préavis si un ouvrier agricole a dû être licencié suite à la diminution de la surface de terres cultivables ou le salaire de cet ouvrier si on le garde en attendant de trouver le terrain de « remploi »
  • Une indemnité pour « trouble dans les affaires » exemples : trajets plus longs entre la ferme et le nouveau champ
  • Qualité de la terre si un autre terrain est moins productif
  • ...

En bref un manque à gagner

Le calcul des indemnités : méthodologie

  • Inventorier les éléments constitutifs du dommage
  • Dommages directs
  • Dommages indirects
  • Évaluer la valeur du montant de la réparation du dommage
  • Indemnité principale : la valeur des terrains [5]
  • Indemnités accessoires
  • Perte des loyers
  • Frais liés à un achat de « remplacement » : frais, honoraires, taxes, TVA non récupérable, impôts, ....
  • Intérêts bancaires 
  • Difficultés de trouver un prêt bancaire ; l'indemnité doit prioritairement servir à rembourser le prêt pour lequel cette terre est mise en gage. Il se peut que des éléments fassent en sorte que les organismes bancaires soient plus restrictifs pour accorder un nouveau prêt (diminution de la rentabilité de l'entreprise, âge du propriétaire ....)
  • Une indemnité de neutralité fiscale en cas où la neutralité fiscale ne serait pas assurée
  • Les intérêts entre le moment de l'expropriation et le moment de la réparation intégrale du dommage
  • Mesurer le temps qu'il faut pour assurer la réparation du dommage

Valeur vénale - Valeur de remplacement

Il existe un prix de vente (valeur vénale) : prix du marché - le prix auquel la chose aurait pu être vendue.

Si le terrain était en vente lors de l'expropriation c'est cette valeur à prendre en compte puisque le propriétaire était « prêt » à vendre. Il n'y a pas de dommages accessoires.

Il existe un coût de remplacement que le propriétaire devra débourser pour l'achat du terrain de remplacement. L'actif semblable doit être examiné en fonction de l'activité de cet actif « in concreto »

On ne peut dire qu'un agriculteur propriétaire de X hectares de terre limoneuse pourra racheter à quelques Km, X hectares de pâtures alors qu'il n'est pas éleveur. Donc l'exproprié doit recevoir le montant nécessaire pour acquérir un bien semblable et se substituant au bien perdu lui permettant de se retrouver dans la situation qu'il aurait eu si l'expropriation n'avait pas existé.

Calcul de la valeur de remplacement

La valeur vénale est en général le point de départ de la recherche de la valeur de remplacement :

  • Les caractéristiques du terrain que l'exproprié devra être en mesure d'acquérir
  • Le prix d'acquisition sera déterminé selon la valeur au moment de l'arrêté d'expropriation

Pour déterminer la valeur on prend en compte les 4 approches ou un mélange de certaines de ces approches :

  • La comparaison

Induire la valeur d'un bien, de la valeur moyenne connue de biens semblables au cours d'une période récente (respecter les points de comparaison suffisamment nombreux)

Pondéré selon la qualité de la terre, la superficie du terrain, l'accessibilité et la géométrie de celui-ci

  • Le rendement

Dans ce cadre, le fermage et la durée du bail qui peuvent être à la fois un facteur de plus ou de moins-value selon l'évolution des prix et la durée du bail à ferme

  • La construction
  • Le coût historique

A cela il faudra ajouter la valeur de remploie 

Valeur des indemnités en cas d'expropriation

Les terrains sont achetés suite à l'intervention du Comité d'Acquisition (CAI).

La direction du Comité d'acquisition assiste les Autorités publiques (Communes, CPAS, Intercommunales, Service public de Wallonie et Unités d'administration publiques, etc.) dans leurs opérations immobilières. Il procède à l'estimation de biens immobiliers, à l'acquisition ou à la vente de ceux-ci. En sa qualité de "notaire public", il rédige et passe les actes authentiques.

Si l'exproprié n'est pas d'accord

Il a le droit d'introduire une procédure en justice. 

Pour les expropriations dont l'arrêté d'expropriation a été fait avant le décret relatif à la procédure d'expropriation du 22 novembre 2018 le tribunal compétent sera la Justice de Paix, après cette date ce sera le Tribunal de 1ère instance qui sera compétent 

Dans les deux cas, le juge nommera un expert judiciaire afin d'évaluer la valeur de l'indemnité qui devra être payée.

L'expropriant devra provisionner une somme exigée par le juge 


[1] Cour eur. D.H.5G.C.° ? arrêt Vistins et Perepjolkins c. Lettonie, du 25 octobre 2012, § 94

[2] CC, n°18/2011, 3 février 2011, B.3.2

[3] Cass (aud plén), 5 mai 2006,RG C 03.0068. f ; ass, 31 janvier 2008, r. gc.06/0250. N.

[4] Cass. 19 juin 1980, RW, 198-1981 .col 2119